Du 10 au 12 juin, Quito
(Equateur) accueillait un colloque sur le thème « Crise de civilisation,
écosocialisme et ’buen vivir’ ». Organisé par l’Institut National des
Hautes Etudes (IAEN), cette rencontre avait pour but de favoriser les
convergences entre l’écosocialisme et les idées du « buen vivir » (ou
des autres systèmes de pensée analogues). Les trois jours de débats intenses
ainsi que la séance de debriefing avec les organisateurs et certains ministres
ont permis de cerner les potentialités, les défis, les difficultés et les
ambiguïtés de la « révolution citoyenne » menée en Equateur par le
président Correa et son équipe.
Nous publions ci-dessous
la déclaration adoptée par les intervenant-e-s à l’issue de leurs travaux.
Notre camarade Daniel Tanuro était invité à
intervenir dans ce séminaire sur le thème de l’échec des politiques climatiques
capitalistes et de l’alternative écosocialiste pour une transition énergétique
vers les renouvelables. Son débat
avec le Secrétaire au Plan, Fander Falconi, a montré à quel point ce sujet est
sensible, voire polémique, dans un pays du Sud qui mise sur les exportations
d’hydrocarbures et de ressources minières pour financer son développement.
Un groupe de militant-e-s, activistes,
enseignant-e-s et professeur-e-s de différents pays des Amériques, d’Afrique et
d’Europe se sont réunis à Quito du 10 au 12 Juin 2013, en trois jours intenses de débats et d’élaboration
collective sur le thème « Crise de civilisation, écosocialisme et buen
vivir ". Nous remercions l’Institut national des hautes études
(institution équatorienne qui vit un processus de refonte afin de mieux
contribuer aux changements promus par la Révolution citoyenne) pour cette
occasion de rencontres, que nous avons essayé d’utiliser pour approfondir
partages des apprentissages et dialogues de savoirs. Nous apprécions
positivement le rapprochement entre les propositions écosocialistes et les
développements liés au « buen vivir » (ou à d’autres notions similaires).
Nous sommes convaincus qu’il s’agit de réponses très proches, pour ne pas dire
sœurs, face à la crise écologique et sociale catastrophique de la civilisation
moderne capitaliste mondiale.
Il est important que ce
séminaire international ait eu lieu en Amérique latine, un continent où les
résistances populaires, indigènes, paysannes, écologistes, des travailleurs et
des femmes contre l’expansion destructrice des multinationales capitalistes ont
beaucoup avancé. Un continent aussi où les Idées du « buen vivir » et
de l’écosocialisme ont connu un développement remarquable parmi de nombreuses
forces de gauche, avec le soutien et la participation des mouvements sociaux
Il nous semble aussi
significatif que ce séminaire international ait eu lieu en Equateur, pays qui a
adopté une initiative exemplaire, au niveau mondial, pour indiquer quelle
devrait être la stratégie de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre
et le réchauffement climatique : laisser le pétrole et les autres
combustibles fossiles sous terre, pour respecter les les populations locales
tout en guidant la société vers l’ère post-carbone. Nous parlons de
l’Initiative Yasuni-ITT, qui, croyons-nous, doit être approfondie, renforcée et
imitée dans d’autres endroits en tant que politique publique écosocialiste.
Nous sommes pleinement
conscients des énormes obstacles que les luttes sociales et écologiques dans
des pays comme le Venezuela, la Bolivie ou l’Equateur ont dû surmonter - au fil
de processus lents qui se sont souvent étalés sur plusieurs décennies - et
doivent encore surmonter pour modifier les rapport des forces et, finalement,
diminuer le pouvoir des oligarchies liées au capitalisme néolibéral, suscitant
ainsi de grands espoirs dans le monde entier. Nous pensons que les questions
clés pour soutenir et renforcer les efforts écosocialistes des gouvernements de
gauche (parfois caractérisés de façon plus ambiguë de
« progressistes ») en Amérique latine consistent à surmonter les
situations postcoloniales de pauvreté et d’exclusion. Cependant, nous soutenons
que faire face à ces immenses besoins sociaux ne peut pas justifier un
« néodeveloppementisme extractiviste » qui ignore d’autres questions
fondamentales :
- La relation constructive
avec les luttes populaires dans le respect de l’autonomie des mouvements
sociaux qui demandent la protection des biens communs, de la sphère du public,
la survie et l’émancipation ;
- L’encouragement aux
initiatives communes et communautaires aux niveaux local, national et régional
(sont sources d’inspiration les progrès dans la construction d’un Etat basé sur
les communes au Venezuela, le Réseau Brésilien pour la Justice
Environnementale, le mouvement anglo-saxon des Villes en transition ou les
écovillages, en Europe et ailleurs) ;
- L’acceptation des limites
biophysiques et écosystémiques à la production matérielle ;
- La lutte contre la
marchandisation de la nature, des écosystèmes et des biens communs ;
- La protection de la
biodiversité et la lutte frontale contre le monde des entreprises qui cherche à
se l’approprier par les manipulations génétiques, les brevets et autres formes
de privatisation du savoir ;
- La stratégie pour sortir
de l’extractivisme prédateur, avec des plans concrets pour changer la matrice
énergétique basée sur les combustibles fossiles et réduire le gaspillage des
ressources ;
- L’intégration régionale
de l’Amérique latine (avec des initiatives comme CELAC, UNASUR, la Banque du
Sud, l’ALBA-TSP, Petrocaribe ...) pour une insertion commune dans l’économie
mondiale dans la perspective d’un véritable internationalisme écosocialiste
favorisant la coopération Sud-Sud et contribuant à modifier l’inégalité des
relations Nord-Sud ;
- La reconnaissance des
savoirs traditionnels et leur renforcement ;
- La lutte contre les
modèles consuméristes, la construction de subjectivités antagonistes et la
concrétisation du « buen vivir » dans les pratiques quotidiennes.
Nous voulons réaffirmer
notre engagement en faveur des efforts qui sont faits dans le monde, notamment
en Amérique latine, pour tenter de matérialiser les principes du « buen
vivir », de l’éco-socialisme, de l’écoféminisme, de l’écologie politique
radicale, de la justice environnementale et d’autres courants d’émancipation.
Nous plaidons pour le respect de l’autodétermination des peuples et de
l’intégrité de leurs territoires, de manière que s’intensifient les conditions
propices à la paix et à l’harmonie qui doivent exister entre les peuples
frères. Nous recommandons un effort particulier pour créer les conditions
permettant l’exercice de la prospective et de la prévision à long terme. Et
réaffirmons notre détermination à tisser les réseaux internationaux qui nous
permettent de renforcer ces efforts.
Quito, le 12 Juin 2013
Les participant-e-s au séminaire sur la crise de la
civilisation, l’écosocialisme et le buen vivir
- Carlos Prieto, IAEN,
Équateur
- Michael Löwy, Centre
National de la Recherche Scientifique, France
- Joel Kovel, Réseau
écosocialiste international, USA
- Joao Alfredo Telles
Melo, PSOL, Brésil
- Matthieu Le Quang, IAEN,
Équateur
- Tamia Vercoutère, projet
Yachay, Équateur
- Ximena Gonzales Broquen,
Institut vénézuélien de recherche scientifique, Venezuela
- Fabio Grobart,
Université de La Havane, Cuba
- Daniel Tanuro, Réseau
écosocialiste international, « Climat et justice sociale », Belgique
- Terisa Turner,
Université de Guelph, Canada
- Guido Galafassi,
Université de Quilmes, Argentine
- Jorge Riechmann,
Université Autonome de Madrid, Espagne
- Miguel Ruiz, IAEN, Équateur
- John Fagan, “Earth Open Source”, USA
- Gian Carlo Delgado,
UNAM, Mexico
- Miguel Angel Nunez,
Institut latino-américain de l’agroécologie « Paulo Freire »
Venezuela
- Christopher Kay,
Institut international d’études sociales, Pays-Bas
- Francisco Caporal,
Université Fédérale Rurale de Pernambuco, Brésil
- Pablo Bertinat,
Université Technologique Nationale, Argentine
- Patrick Bond, Université
de KwaZulu, Afrique du Sud
- Esquisa Oman, Instituto
Venezolano de Investigaciones Científicas, Venezuela
- Antonio Salamanca, IAEN,
Équateur
- Fernando Gomez, Fondation
New Republic, Colombie
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