Alors que la présentation de la feuille de route
des États généraux est imminente, Corinne Lepage, Députée européenne et Docteur
en Droit, revient sur l'objectif même de cette simplification du droit de
l'environnement : pérenniser les secteurs industriels conventionnels polluants
et toxiques.
En relisant les
déclarations des responsables de ces états généraux, ceux qui ont connu 1992
pourraient se croire revenus à cette date, celle des grands principes creux,
que le droit a essayé de remplir en 30 ans et que les mousquetaires - ou les
mercenaires - de ces Etats généraux ont reçu mission de détruire.
Pourquoi un tel jugement
qui pourrait paraître excessif ou erroné à certains ? Parce qu'il faut
regarder le contexte, les causes de l'inflation normative et l'application
effective des grands principes du droit de l'environnement.
Développer l'efficacité
économique court-termisme
Le contexte tout d'abord.
Ces États généraux sont lancés quelques jours après la publication du rapport
Lambert-Boulard qui constitue un véritable réquisitoire contre le droit de
l'environnement et les normes qui rendraient impossible le développement
économique. Il est donc impératif selon les auteurs de simplifier au maximum le
droit de manière à faire disparaître ces entraves. C'est exactement l'objectif
que Madame Batho a donné aux États généraux à savoir simplifier le droit pour
développer l'activité économique et les emplois. Certes, il est question dans
la communication de l'efficacité du droit de l'environnement, mais la réalité
est bien que c'est l'efficacité économique court-termisme qui est visée. C'est
également évidemment le principe de précaution qui semble avoir totalement
disparu si l'on s'en tient au propos introductif des États généraux. Or, c'est
bien le principe de précaution qui est dans le viseur à la fois du Medef et
d'une partie de la communauté scientifique liée aux grands lobbys. Ceci au
motif que ce dernier rendrait impossible la recherche, la découverte, la mise
en œuvre. Or, au-delà du fait que le principe de précaution est un principe de
recherche et non d'abstention de la recherche, il est devenu le parapluie de
décideurs frileux et surtout le cache-sexe d'une industrie qui n'investit plus
mais pour de tout autre raison.
La vérité est que le principe de précaution n'est
pas appliqué, ni même du reste celui de prévention lorsqu'il s'agit du
nucléaire, des pesticides, des produits chimiques (à l'exception très tardive et encore retardée du
bisphénol A - BPA), du diesel, des nanotechnologies etc. La réalité est que le
principe de précaution gêne ceux qui veulent se dissimuler derrière le risque
de développement pour éviter de voir leur responsabilité mise en cause.
Rappelons que le risque des développements exclut la responsabilité des
producteurs lorsqu'ils peuvent prouver que l'état des connaissances ne leur
permettait pas de connaître un risque. Or, la meilleure manière de ne pas
connaître le risque est de ne pas le chercher. Or, précisément, le principe de
précaution a pour objectif premier d'exiger la recherche lorsqu'il y a un
doute. Dans ces conditions, chacun peut comprendre que l'objectif n'est pas du
tout de rendre plus efficace le droit de l'environnement mais bien d'essayer
d'éviter que ses principes et les règles qui en découlent puissent être
appliqués.
Les vraies raisons de l'inflation réglementaire
Il n'en demeure pas moins
qu'il est vrai que la France croule sous les normes. Mais encore faut-il
comprendre pourquoi. Le droit de l'environnement est un droit à 80 % d'origine
communautaire. Or, chacun peut reconnaître que la France ne brille pas par son
attitude à transcrire dans les domaines qui la dérangent ses obligations
communautaires. La récente condamnation par la Cour de Justice de l'Union
européenne pour la non-application de la directive sur les nitrates qui ne date
jamais que de 2009 en est une nouvelle illustration. Mais, la France ne se
contente pas de ne pas transcrire. Elle cherche à transcrire souvent en évitant
l'objectif visé par le texte. C'est ce qui explique des textes infiniment
compliqués et alambiqués destinés en réalité à contourner le texte
communautaire pour le rendre en réalité difficilement applicable et pour donner
à l'administration française des pouvoirs d'opportunité non prévus à l'origine.
C'est une des premières explications d'un code particulièrement touffu.
La seconde explication tient à ce que les grands
lobbys qui en réalité font la pluie et le beau temps en France, influent sur le
Parlement et surtout le pouvoir
réglementaire de telle sorte que le droit protège leur activité et décourage ou
rend impossible l'activité de leurs concurrents surtout lorsqu'il s'agit
d'activités de l'économie verte. L'absurdité du droit de l'éolien en France,
qui ne connaît aucun système comparable en Europe et qui n'est évidemment en
rien justifié par le droit communautaire en est une parfaite illustration.
C'est naturellement le lobby nucléaire qui est à l'origine de cette complexité
volontaire. De la même manière, le recours à la normalisation pour interdire
l'usage de tel ou tel produit ou tel ou tel process est plus que fréquent pour
couler des concurrents, généralement PME et innovants, dans le but de laisser
sur le marché des produits souvent toxiques ou onéreux. Cette floraison qui
constitue un véritable détournement de procédure est à l'origine d'une grande
partie des normes qui encombrent le paysage.
En troisième lieu, l'administration française a
cherché tous les moyens possibles pour s'opposer aux principes de transparence
de l'information, de participation du public à la décision et surtout de prise en compte des questions sanitaires
à côté des questions environnementales. Pour avoir fait voter en 1996
l'extension des études d'impact au domaine de la santé, j'ai pu juger de
l'hostilité que rencontrait cette préoccupation évidente. Enfin, il ne faut pas
oublier que dans le domaine de l'environnement industriel, les normes ne sont
pas faites par les juristes mais par les ingénieurs. Tout ceci explique la
complexité de notre droit. Dès lors, il va de soi que rien ne s'oppose bien au
contraire à ce que nous changions de système et que nous simplifions… À la
condition que ce soit fait pour rendre le droit de l'environnement plus
efficace c'est-à-dire davantage conforme à ses objectifs. Or, l'objectif fixé
par la ministre est directement contraire puisqu'il s'agit de réduire tout ce
qui pourrait encore apparaître comme gênant à ceux qui sont précisément à
l'origine de la complexité.
Pour simplifier, supprimons le principe de précaution,
la participation du public qui doit être prise en compte et la responsabilité
du pollueur mais gardons la multiplication des procédures pour autoriser les
éoliennes et la normalisation à tous crins pour empêcher l'arrivée sur le
marché de produits écologiques !
Environnement : une hostilité chronique
Car en définitive, même si
le chapitre qui précède est caricatural, ce sont bien les principes du droit de
l'environnement qui sont remis en cause. Les règles pourraient être infiniment
moins nombreuses si les principes étaient clairement affirmés et les
responsabilités inéluctables. Mais en réalité l'objectif n'est pas du tout
celui-là mais bien la remise en cause, sous prétexte de compétitivité, de ce
qui fonde le droit de l'environnement et par voie de conséquence le droit à la
vie. Tant que l'économie française ne comprendra pas que le droit de
l'environnement par les contraintes qu'il impose permet en lui-même de prendre
en compte la rareté des ressources, les déséconomies externes, la durabilité du
marché et donc de l'entreprise, elle perdra du terrain par rapport à ses grands
concurrents. L'hostilité des grands donneurs d'ordre français à un véritable
changement du modèle énergétique est en passe d'acculer l'économie française
dans son ensemble à un retard irrattrapable en particulier au regard de
l'Allemagne mais également de la Chine, du Japon et des États-Unis (car il n'y
a pas que les gaz de schiste aux États-Unis). De la même manière, ne pas
comprendre que la crise sanitaire majeure que nous sommes en train de vivre en
raison de l'explosion des maladies chroniques est liée à notre mode de
production et de consommation est une hérésie. Plus vite ceci changera, plus
nos entreprises seront sur des marchés prometteurs. Or, la feuille de route
donnée par ces États généraux du droit de l'environnement va directement à
l'encontre de ce qui précède puisque l'objectif n'est pas de s'inscrire dans
l'économie verte et de mettre le droit en ordre de bataille pour la favoriser.
L'objectif est de pérenniser les secteurs industriels conventionnels polluants
et toxiques en faisant en sorte qu'il puisse continuer sans engager leur
responsabilité.
Enfin, cerise sur le gâteau, la commission Jegouzo
chargée de réfléchir sur l'indemnisation du préjudice écologique, semble
n'avoir rien trouvé de mieux que de proposer un établissement public national
chargé de réclamer et gérer le préjudice écologique. A l'heure où le gouvernement recherche à tout prix
des économies, il est pour le moins curieux de vouloir créer de nouvelles
dépenses publiques sauf à penser que le préjudice écologique pourra rentrer
dans le puits sans fond du budget, ce qui rendra bien entendu impossible la
réparation des dommages causés. Ainsi, les citoyens français seront-ils
doublement perdants. D'une part ils seront privés du droit par la voix de leurs
associations ou de leurs collectivités territoriales, qui ont créé la
réparation du préjudice écologique reconnu par le juge, de réclamer ce
préjudice. D'autre part, ils seront privés du droit de voir réparer les
dommages qui auront été causés à leur patrimoine collectif.
Oui, malheureusement, la
destruction des acquis juridictionnels du droit de l'environnement est engagée.
Corinne Lepage, Députée européenne, Docteur en
Droit
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