"Batho est une victime collatérale de
l'absence d'ambition écologique du gouvernement". Le renvoi du
gouvernement de la ministre de l'écologie, Delphine Batho, mardi 2 juillet, pour avoir critiqué le budget
2014 en raison des coupes sévères que subissait son ministère, n'est pas une
bonne nouvelle pour les ONG environnementales, notamment à quinze jours de la
fin du débat sur la transition énergétique.
"Ce n'est pas un bon signal de virer encore la
ministre de l'écologie", a
déclaré le porte-parole de France Nature
Environnement (FNE), Benoît Hartmann. Il faisait allusion au départ en juin
2012 de l'ancienne titulaire du poste, Nicole Bricq, un mois après sa
nomination. Selon les ONG, elle avait payé ses positions défavorables à un
permis pétrolier de Shell en Guyane. "On ne peut pas dire que l'écologie
est une priorité si on renvoie les ministres les uns après les autres", a
ajouté M. Hartmann.
Pour Greenpeace, le limogeage de Delphine Batho une
preuve supplémentaire du "peu de considération" que le président et le premier ministre portent à
l'écologie. "Delphine Batho est une victime collatérale du manque total
d'ambition environnementale du gouvernement, déplore au Monde.fr Jean-François
Julliard, directeur de Greenpeace France. C'est le pire moment pour changer de
ministre de l'écologie : en plein débat sur la transition énergétique. C'est
une décision qui n'est pas digne d'un gouvernement."
Du côté de la Fondation
Nicolas Hulot, on regrettait aussi le calendrier malvenu de la décision. "En quoi cela pourrait être positif à quinze
jours de la fin du débat sur l'énergie et alors que des décisions
importantes doivent être prises dans les jours à venir sur la fiscalité
écologique ?" questionne son porte-parole Matthieu Orphelin.
Entre les ONG et les lobbys de l’énergie, la
ministre de l’Ecologie a du mal à peser.
Ses déplacements se font
sans caméras. Ce n’est pas que Delphine Batho repousse les médias, mais la
ministre de l’Ecologie veut rester discrète. Au risque d’apparaître effacée,
alors que se déroule jusqu’en juillet le grand débat sur la transition
énergétique et que se prennent bientôt les décisions sur la fiscalité verte.
«Ça se passe très bien dans les territoires», répond-elle calmement, assise
dans un train filant vers Amiens.
La jeune ministre - 40 ans - refuse qu’on
laisse entendre que l’écologie a disparu de l’agenda de François
Hollande. «L’arbre plante ses racines. Ensuite, il y aura les feuilles»,
promet l’ex-protégée de Ségolène Royal. Elle donne des chiffres :
«10 débats en Picardie, 120 en Rhône-Alpes… On est engagés dans une
course de fond», dit-elle. On lui fait remarquer que la droite a davantage
marqué l’opinion avec son Grenelle de l’environnement. «Elle avait éliminé les
sujets tabous, comme le nucléaire ou la chasse, rétorque-t-elle. C’est
forcément plus facile de se mettre d’accord lorsqu’on évite les sujets qui
fâchent.» Elle tente de faire s’entendre de grands groupes énergétiques et des
ONG. Compliqué… D’autant qu’en période de crise, «il est difficile de mettre en
avant des sujets de long terme quand l’angoisse du quotidien est là»,
explique-t-elle. Encore plus quand le PS est loin d’avoir fait son
aggiornamento écolo.
«Nulle». Batho a choisi
d’être une bonne élève du gouvernement. Sérieuse, appliquée, exigeante, raide
même… Sans provoquer d’esclandre médiatique, alors que son camarade Arnaud
Montebourg a l’amour chronique pour les gaz de schiste. «Sur ce sujet, la
position du gouvernement est fixée. Elle ne variera pas», tranche-t-elle, pas
mécontente d’avoir remporté la manche. «Elle a choisi une stratégie qui est de
gagner des arbitrages, même si ça ne se voit pas, constate-t-on dans
l’entourage d’un ministre. Problème : pour porter des thématiques écolos avec
succès, il faut que ça se voit.»
Chez Europe Ecologie-les Verts (EE-LV), avant les
décisions sur la loi transition énergétique et la fiscalité écologique, promise
pour le budget 2014, on s’inquiète du manque de poids politique de la
ministre. «Elle est nulle…», se
désespère un leader du mouvement. «Elle est de bonne volonté depuis le début,
tempère Barbara Pompili, coprésidente des députés écologistes, mais on aimerait
qu’elle soit plus combative sur des sujets où les pressions et les influences
des lobbys sont fortes.» «C’est bien de titiller Delphine, observe un ténor écologiste.
Mais attention de ne pas casser le lien que nos ministres ont avec elle.» Un
autre dirigeant d’EE-LV est moins sévère : «Sur le fond, elle se bat. Elle a de
vraies convictions et le fait qu’elle ait un vrai lien avec Hollande nous aide.
Ce qu’elle a dit, par exemple, sur le diesel, c’est quelque chose qu’un socialo
ne peut pas entendre !» Début mars, Batho avait lancé qu’on «ne pouvait plus
fermer les yeux sur les dangers du diesel» et plaidé pour une taxation plus
importante du gazole. Sans obtenir gain de cause pour l’instant.
Lorsqu’on lui rapporte ces
critiques vertes, la réponse est sèche : «Eux, ils voudraient des couacs. Je ne
suis pas là pour faire des couacs.» «S’il faut taper pour exister, elle ne le
fera pas», soutient un de ses conseillers. Batho préfère le huis-clos du
Conseil des ministres, pour réclamer une politique d’investissement et faire
barrage à des propositions d’économies supplémentaires risquant de mener le
pays à la récession. Ou encore pour s’offusquer de la timidité de la loi
annoncée sur le cumul des mandats.
Mais il n’y a pas que les alliés à être sévères. «Elle est passée un peu trop vite de l’Unef à un
ministère», lâche un proche du président de la République. Un autre : «Ça ne
fonctionne pas bien avec le Premier ministre.» «C’est le syndrome de Peters :
c’est juste un boulot qu’elle ne peut pas faire», entend-on chez un proche
d’Arnaud Montebourg. Comme les tensions avec le ministre du Redressement
productif commençait à filtrer, ils ont grimpé, mi-mai, la roche de Solutré. De
quoi faire de belles images sur fond de légende mitterrandienne.
Batho ne se met jamais en
danger. Elle sait qu’au PS, a contrario de Montebourg, elle reste un poids
plume. Tout juste tombée du nid de Ségolène Royal dont elle a hérité de la
circonscription et avec qui elle a rompu entre les deux tours de la
primaire présidentielle du PS. Elle sait qu’au moindre faux pas, elle peut
sauter. Aussi vite que sa prédécesseure, Nicole Bricq, exfiltrée au Commerce
extérieur après s’être embourbée juste après les législatives dans une histoire
de forages pétroliers au large de la Guyane. «La peur de faire une erreur
l’empêche de se lâcher, confirme un parlementaire. On sent aussi chez elle un
vrai complexe d’infériorité.» Celui de ne pas être experte ès environnement ?
«Je ne suis spécialiste de rien ! Je n’ai que le bac !» répond-elle. «Et Borloo
? NKM ? Ils s’y connaissaient peut-être ? la défend la sénatrice PS de l’Oise,
Laurence Rossignol. Delphine est solide, technique et politique. Mais les
positions jusqu’au-boutistes de certaines ONG ne l’aident pas face aux
pressions des énergéticiens. Ils devraient être avec elle dans le rapport de
force.»
Boussole. Ceux qui ont travaillé avec Batho louent
son travail en faveur des énergies renouvelables au plan européen. Les Allemands en particulier : «Leur modèle de
transition énergétique connaît quelques soucis. Ils ont besoin de nous pour ne
pas être isolé au Conseil», appuie-t-elle. Sur le nucléaire, sa boussole reste
la promesse de Hollande de baisser sa part à 50% dans le mix énergétique
à l’horizon 2025. Quant à la fermeture - pourtant l’unique du
quinquennat - de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), «ce sera dans la loi
sur la transition énergétique», évacue-t-elle. Pour que l’écologie soit «vécue comme
positive», elle tente de convaincre qu’une meilleure isolation thermique de sa
maison permet de dégonfler la facture d’électricité et que bien manger est gage
de bonne santé et de croissance locale.
Autre chantier à venir : la réforme du code de
l’environnement pour faciliter les investissements écologiques. Mais à côté de ce «sérieux», d’autres rapportent
une ministre autoritaire, voire tyrannique avec un cabinet et un personnel
terrorisé. «Les cabinets sont malheureux», admet-on, dans un euphémisme, à
l’Elysée. Des témoins rapportent des scènes de colère et de vives remontrances
en public. Elle a déjà changé de directeur et de chef de cabinet. «Son ancien
dircab est juste un saint d’avoir tenu aussi longtemps», dit un proche de
Montebourg. «Delphine est une militante. Hyperpolitique, souligne un conseiller
ministériel. Son problème est qu’elle concentre toutes les décisions sur elle
et, du coup, ne laisse pas vivre son cabinet.» Chez les écologistes, on craint
qu’elle fasse «comme Voynet», la ministre verte de Jospin. «Une vraie bosseuse
et un vrai travail sur le fond, mais peu de symbolique et une très mauvaise
gestion du relationnel», dit un cadre du mouvement. A Amiens, Delphine Batho a
reçu en cadeau, une marionnette picarde, symbole d’«esprit frondeur». «Ça me
convient plutôt bien», a-t-elle répondu. Surprenant.
LILIAN ALEMAGNA le 18 juin 2013
Pour compléter, un lien vers un article du site d'information Arrêt sur Images :
RépondreSupprimerhttp://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=5980