"La planète aura beaucoup de mal à soutenir un réchauffement de 4°C"
La Banque mondiale prédit
une aggravation des "pénuries d'eau" en Afrique de l'Est, au
Moyen-Orient ou en Asie du Sud.
C'est une prévision des
plus alarmistes. Dans un rapport publié dimanche 18 novembre, la Banque
mondiale redoute une hausse de la température mondiale moyenne de 4 °C dès
2060– bien au-delà du plafond de + 2 °C fixé par la communauté internationale.
Ce réchauffement déclencherait une "cascade
de changements cataclysmiques"touchant
essentiellement les pays pauvres, souligne l'institution de Washington.
Pour Jean Jouzel,
climatologue et vice-président du groupe scientifique du Groupe d'experts
intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), le changement climatique
suit un "scénario dangereux, car, en
l'absence de décisions politiques pour infléchir nos émissions de CO2,
il risque de nous entraîner vers des valeurs extrêmes de + 6 °C d'ici la fin du
siècle".
La communauté
scientifique estime-t-elle aujourd'hui qu'il n'est plus possible de contenir le
réchauffement du globe à +2 °C par rapport à l'ère pré-industrielle ?
Jean Jouzel : Il y a un consensus assez clair parmi les
climatologues sur le fait que nous allons dépasser la barre des 2 °C de hausse
de la température mondiale d'ici la fin du siècle. On se situe plutôt
maintenant dans le scénario A2 du GIEC qui prévoit une augmentation de 3 °C à 4
°C des températures moyennes d'ici 2100. C'est un scénario dangereux, car, en
l'absence de décisions politiques pour infléchir nos émissions de dioxyde de
carbone (CO2), il risque de nous entraîner vers des valeurs extrêmes de + 6 °C
d'ici la fin du siècle.
Les engagements,
volontaires ou contraignants, des pays sur la période 2012-2020 sont connus
:–20 % d'émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 pour l'Europe,
–15 % entre 2005 et 2020 pour les Etats-Unis, soit l'équivalent de –3 % par
rapport à 1990, et une augmentation de l'efficacité énergétique pour la Chine.
Même si tous ces engagements étaient tenus, il resterait encore 15 %
d'émissions en trop pour éviter de dépasser un réchauffement de la planète de 2
°C.
Au final, il faudrait
d'abord diviser les émissions par trois pour atteindre 10 milliards de tonnes
de CO2 en 2050 contre 35 milliards aujourd'hui, puis ne plus émettre
du tout jusqu'en 2100 – c'est-à-dire compenser totalement les rejets. Le pic
d'émissions de gaz à effet de serre devrait par ailleurs survenir au plus tard
en 2020, ce qui n'est pas du tout la tendance actuelle, puisque les émissions
n'ont jamais autant augmenté qu'au cours des dernières décennies et continuent de
le faire d'année en année.
Quels sont les dangers
qui menaceraient la planète dans le cas d'un climat plus chaud de 4 °C?
Une augmentation de 4 °C
de la température du globe représente un changement majeur et très difficile à
soutenir pour la planète. Pour donner un ordre de grandeur, on considère que
les changements glaciaires et interglaciaires dans l'histoire de la Terre ont
été provoqués par un changement de température situé autour de 6 °C.
Il en résultera une
élévation du niveau des mers de 50 cm à 1 mètre, entraînant le déplacement de
millions de personnes, des épisodes climatiques plus extrêmes, des périodes de
précipitations et de sécheresse intenses, des vagues de chaleur multipliées par
dix, ou encore une acidification des océans.
Les pays en développement
seront en première ligne, notamment l'Afrique pour les pénuries d'eau et l'Asie
pour l'élévation du niveau des mers. Toutefois, les pays développés seront
aussi touchés : les sécheresses vont se multiplier dans l'ouest des Etats-Unis,
les cyclones et tempêtes verront leur intensité augmenter, l'élévation du
niveau de la mer touchera la Charente-Maritime, le pourtour méditérannéen ou
encore le nord de l'Europe (Belgique, Pays-Bas, etc.) et la France pourrait
voir disparaître tous ses glaciers.
Surtout, le réchauffement
se poursuivra au-delà de 2100. Avec cette trajectoire, on pourrait atteindre +
8 °C à + 10 °C en 2300. Des scénarios totalement inenvisageables commencent
ainsi à émerger.
Quelles sont les
solutions pour infléchir cette tendance ?
Les pays doivent tout
faire pour diminuer les émissions de CO2 et non plus seulement les
maîtriser. Les solutions sont connues : diviser fortement les émissions du
secteur des énergies fossiles, ce qui implique de ne pas poursuivre dans le
développement massif des hydrocarbures non conventionnels comme les huiles et
gaz de schiste, développer les énergies renouvelables pour fournir jusqu'à 50 %
de l'énergie d'ici 2050, gagner en efficacité énergétique dans le secteur du
bâtiment, favoriser les transport en commun ou encore limiter les émissions de
méthane du secteur agricole. Ce sont des voies à mettre en œuvre aujourd'hui de
façon volontariste pour éviter de le faire de manière contrainte et dans la
panique dans quelques décennies.Cette conférence va permettre le réel lancement de la deuxième phase du Protocole de Kyoto, qui s'établira sur la période 2013-2020. Mais elle ne concernera que 15 % des émissions mondiales, avec l'engagement de l'Europe et de l'Australie. Le principal objectif de la conférence sera donc plutôt de lancer les discussions pour obtenir en 2015 un accord de limitation des émissions de gaz à effet de serre qui intègre tous les pays. Pour l'instant, les négociations sont au point mort.
Mais l'on peut espérer des évolutions positives : le président américain Barack Obama va peut-être davantage s'impliquer lors de son second mandat, d'autant plus après la piqûre de rappel qu'a constituée L'ouragan Sandy. La Chine est par ailleurs de plus en plus volontariste. Elle voit dans l'écologie une voie de développement, en devenant par exemple le premier pays solaire et éolien.
Audrey Garric
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire