Les deux tiers des arbres dans le monde sont
menacés de dépérissement
Les forêts, poumons de la Terre, sont menacées de
dépérissement. Les arbres se montrent beaucoup plus vulnérables à la sécheresse
que ce que les scientifiques imaginaient. Quand ils manquent d'eau, ils font
des embolies : des bulles d'air obstruent les vaisseaux de transport de la
précieuse sève des racines à leurs cimes. Un dessèchement fatal les guette.
Toutes les espèces sont concernées : feuillus ou conifères. Tous les climats
également : humides ou secs.
Pour la première fois, une
vaste étude internationale jette un regard global sur ce phénomène. Sur plus de
220 espèces réparties dans 80 régions aux climats variés, leurs conclusions,
publiées en ligne dans la revue Nature
mercredi 21 novembre, pointent une vulnérabilité alarmante pour l'avenir
des écosystèmes.
Environ 70 % des arbres
étudiés seraient sur le fil du rasoir, fonctionnant à la limite de l'embolie.
Leurs marges de manœuvre sont étroites, qu'ils poussent en zone tropicale, en
zone tempérée ou en zone de type méditerranéen. "Tous les arbres et toutes les forêts du globe vivent en
permanence à la limite de leur rupture hydraulique. Il y a donc une convergence
fonctionnelle globale de la réponse de ces écosystèmes à la sécheresse",
résume Hervé Cochard, chercheur à l'INRA, à Clermont-Ferrand, et coauteur de
l'étude pilotée par Brendan Choat, de l'université Western Sydney (Australie),
et Steven Jansen, de l'université d'Ulm (Allemagne).
Cette découverte étonnante
conduit à envisager des scénarios catastrophe, sur lesquels les chercheurs ne
se prononcent pas : les évolutions prévues du climat devraient être marquées
par des épisodes de sécheresse plus fréquents. Une mortalité accrue des arbres
fait planer sur les écosystèmes une nouvelle menace, non prise en compte
actuellement dans les scénarios climatiques.
DES CHERCHEURS
TRANSFORMÉS EN PLOMBIERS DE LA BIOSPHÈRE
Pour aboutir à ces
constats, les chercheurs se sont transformés en plombiers de la biosphère, afin
de sonder l'état de santé des systèmes vasculaires de transport du liquide
nutritionnel chez les plantes. La probabilité d'apparition de bulles d'air dans
la sève augmente si l'arbre est contraint d'aspirer plus fort la sève dans ses
ramifications. C'est ce qui arrive en cas de fortes chaleurs, qui augmentent la
transpiration de l'arbre, ou lors d'une carence en eau, qui oblige la plante à
pomper intensément.
Ce phénomène d'embolie ou
de cavitation a été mesuré dans les années 1960 en utilisant des microphones
enregistrant l'éclatement de ces bulles. Depuis, les techniques ont été
perfectionnées et les chercheurs sont capables de mesurer à partir de quelle
pression dans la sève la conduction hydraulique est diminuée de moitié par la
formation de bulles. Ce seuil de vulnérabilité est ensuite comparé à la
pression de sève, mesurée in situ pour différentes espèces.
Mauvaise surprise, les
scientifiques ont découvert que cette différence est finalement faible pour la
majorité des espèces recensées. "Que
les forêts de type méditerranéen, soumises à des sécheresses, soient proches de
ce seuil n'est sans doute pas étonnant. Mais même les forêts tropicales ont peu
de marge de manœuvre", constate Hervé Cochard.
"J'ai pu
récemment observer en Guyane que la saison sèche, particulièrement aride cette
année, a causé des dégâts. Les plantes pourront sans doute s'en sortir, mais
que se passera-t-il si ces épisodes se multiplient ?", s'interroge Jérôme Chave, du laboratoire Evolution
et diversité biologique du CNRS, à Toulouse.
LES ARBRES PEUVENT
"MOURIR DE FAIM", PAS SEULEMENT DE SOIF
En 2010, dans la revue Forest Ecology and Management, une
autre équipe avait alerté sur le nombre inquiétant de forêts affaiblies par la
sécheresse. Les 88 zones recensées depuis 1970 n'étaient pas toutes en zone aride,
et leur nombre était en augmentation.
"La tendance à la
hausse se poursuit. En vingt ans, les superficies connaissant un dépérissement
des forêts ont été multipliées par quatre. Dans l'Ouest canadien, c'est une
zone équivalente à la forêt française qui est dans ce cas", précise Michel Vennetier, de l'Institut national de
recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture, à
Aix-en-Provence, coauteur de l'étude de 2010. Le chef de cette équipe, Craig
Allen, plaide d'ailleurs pour un observatoire mondial du dépérissement des
forêts, trop de zones, comme la Russie, restant hors des radars faute de
données fiables.
"Il est un peu
exagéré de faire des problèmes d'embolie la cause unique des dépérissements et
mortalité des arbres. D'autres causes existent", note Hendrik Davi, de l'INRA à Avignon. Les arbres
peuvent, par exemple, également "mourir de faim" à la suite d'une
sécheresse, et pas seulement de soif.
Le premier réflexe d'un
arbre soumis à un stress hydrique ou de température est de fermer les organes
qui lui permettent d'échanger avec l'extérieur, les stomates. Cela pour éviter
la transpiration. Mais ce faisant, le CO2 n'est plus absorbé, et la
photosynthèse ne peut plus produire les sucres nécessaires à la croissance.
Celle-ci ralentit. L'arbre puise alors dans ses réserves, jusqu'à l'épuisement
et éventuellement la mort.
"DISPOSER DE
DONNÉES PHYSIOLOGIQUES MONDIALES"
La fin peut être accélérée
par l'arrivée d'insectes, comme les scolytes, qui profitent de cet
affaiblissement du végétal pour le coloniser. Les "légistes" ont donc
souvent du mal à identifier une cause unique lors d'un décès. "Au minimum, ce phénomène de cavitation est un
facteur déclenchant. Le seuil que nous avons estimé est aussi le seul trait
physiologique pour lequel nous ayons une vision globale",
indique M. Cochard.
Son équipe a constaté que
les arbres ont des capacités d'adaptation. Ainsi, selon leurs estimations, 40 %
des feuillus vivent au-dessus du seuil d'embolie, alors que seuls 6 % des
conifères en sont capables. Ce qui prouve que des stratégies de résistance
existent. Mais leurs mécanismes ne sont pas encore compris, et les auteurs
notent que "ces réparations ne
peuvent fonctionner que si les périodes de sécheresse sont suivies de
précipitations suffisantes pour revenir à la normale".
"En Provence, les
années suivant la canicule de 2003 ont également été très sèches, et nous avons
constaté des mortalités importantes sur les pins sylvestres, les sapins et les
chênes-lièges quelques années après", rappelle Michel Vennetier.
"C'est important
pour nous de disposer de données physiologiques mondiales. Nous pourrons ainsi
les intégrer dans nos modèles climatiques tenant compte de la végétation et
faire le lien entre les échelles globales et locales. Mais il est trop tôt pour
se prononcer sur les conséquences de la découverte de ces risques
d'embolie", estime Nicolas
Viovy, du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement
(CEA-CNRS-université de Versailles-Saint-Quentin), spécialiste de ces questions
de modélisation.
David Larousserie
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