Rapport Jospin : va t il être enterré ?
Une réflexion au pied de la lettre, pour une « rénovation normale ».C’est ce à quoi s’est livrée la « commission chargée de la rénovation et de la déontologie de la vie publique », qui remet ce vendredi son rapport (ici en PDF) au président Hollande. Les 35 propositions qui sont déclinées en 130 pages, reprennent peu ou prou les engagements du candidat socialiste lors de la présidentielle, au point que l'on se demande si la commission Jospin n'était pas en réalité un « comité de validation » de la campagne. Comme le regrette l’un de ses membres, le constitutionnaliste Dominique Rousseau, pour qui « Lionel Jospin voulait mesurer la qualité du rapport à sa faisabilité immédiate. Du coup, notre travail manque d’une vision d’ensemble et d’avenir » .
Malgré les désirs de certains universitaires membres de la commission de faire preuve d’audace, Lionel Jospin a constamment tenu le cap d’une lecture stricte de la lettre de mission présidentielle (lire ici). Avec l’objectif premier (et contraignant, aux dires de certains) de répondre aux cinq grandes questions posées par le président dans sa missive : « Définir les conditions d’un meilleur déroulement de l’élection présidentielle » ; « s’interroger sur le statut juridictionnel du président élu » ; « examiner les voies d’une réforme des scrutins applicables aux élections législatives et sénatoriales » ; « formuler des propositions permettant d’assurer le non-cumul des mandats de membres du parlement ou du gouvernement avec l’exercice de responsabilités exécutives locales » ; « définir des règles déontologiques de nature à garantir la transparence de la vie publique ».
Pour se dédouaner des procès en tiédeur, ainsi qu'il l'a expliqué lors de sa conférence de presse ce vendredi, l'ancien premier ministre se cache derrière le court délai de travail de la commission (quatre mois), ne permettant pas de réfléchir au-delà des questions posées par le président. « Détrompez-vous ! Le président a jugé que nous sommes allés plus loin que lui », s'est défendu Jospin. Roselyne Bachelot ajoutant même que François Hollande avait trouvé les propositions « téméraires ». L'ancienne ministre UMP s'exclamant ensuite devant la presse : « Si toutes les propositions sont adoptées, ce sera une vraie rénovation ! »
Décryptage des principales mesures, au prisme de la doctrine institutionnelle hollandaise.
Une réflexion dans le seul cadre des propositions du candidat Hollande
Pour « coller à la demande », les juristes et experts ont eu la délicatesse de se limiter quasiment à la littérature programmatique hollandaise (télécharger ses 60 propositions). Notamment en respectant les promesses de l'engagement n°47 du projet du candidat socialiste, sur le statut pénal du président, qui serait responsable devant les tribunaux ordinaires, pour tous les actes détachables de sa fonction. De même, la suppression à effet immédiat de la possibilité pour les anciens présidents de siéger à vie au conseil constitutionnel, est présente parmi les recommandations, assortie d'une incompatibilité entre membre du conseil et l'exercice de la profession d'avocat.
Autre engagement de campagne que l’on retrouve honoré dans le rapport de la commission, la proposition n°48 sur la limitation du cumul des mandats. C’est la version du programme socialiste, à laquelle Hollande s’était converti durant la primaire, qui est ici reprise, malgré la grogne de certains barons socialistes. Deviendrait interdit, pour tous les députés et sénateurs, tout cumul avec un mandat exécutif local (maire ou adjoints de communes, président et vice-présidents de conseils général et régional, ainsi que de communautés d’agglomération). Cette proposition risque d’être âprement débattue dans les hémicycles parlementaires. Si rien n'est prévu concernant le cumul dans le temps, il est demandé à ce qu'aucun parlementaire ne puisse percevoir « une rémunération au titre de son mandat local », et aussi qu'il soit impossible de cumuler son mandat avec celui de « toute fonction locale dérivée ».
Concernant la proportionnelle, autre volet de la promesse n°48, la solution retenue est celle de « 10 % maximum des députés élus » sur une liste. Si le projet de Hollande évoque « une part » de proportionnelle, le candidat Hollande avait souvent avancé les chiffres « entre 10 et 15 % ». C'est l'hypothèse basse qui est donc retenue, Lionel Jospin expliquant qu'à sa « grande surprise », ce sont les membres de la commission, « et notamment la jeune génération d'universitaires », qui s'est montrée « très attachée au fait majoritaire ». Ce manque d'audace réformateur se retrouve aussi dans les préconisations en matière de parité. Sur le sujet, si les amendes financières pour les listes non paritaires sont augmentées, l’idée de supprimer purement et simplement les financements publics a été écartée. Il a ainsi été estimé que cela risquait de porter atteinte au pluralisme des partis.
En revanche, la commission Jospin a choisi de ne pas se pencher sur certains éléments du projet de François Hollande, en jugeant « hors-cadre » les propositions nos 49 et 50. Il s'agit de l’inéligibilité de 10 ans pour les élus condamnés pour corruption et du droit de vote des étrangers. Quant au futur de l’AFP et du CSA (proposition n°51 sur l’indépendance des médias), comme l’indépendance de la justice et la réforme du CSM, Conseil supérieur de la magistrature (n°53), ces questions restent également au placard.
Sénatoriales, conflits d’intérêts et CJR
Sur d’autres sujets, les commissaires de la rénovation se sont aussi inspirés des thèses ou propositions de Hollande même si elles ne figuraient pas explicitement dans son programme. Parfois, pour limiter toute ambition réformatrice, comme à propos du sort du Sénat. La commission propose par exemple un retour à la proportionnelle pour les départements élisant trois sénateurs, ainsi qu’une meilleure prise en compte des conseillers généraux et régionaux dans le collège des grands électeurs. Ces idées, que l’on pourrait juger timides pour régler « l’anomalie démocratique » dénoncée naguère par Jospin, sont directement inspirées d’une proposition de loi déposée en mai 2008 par… Jean-Marc Ayrault et François Hollande.
Parfois, l’exégèse des engagements de campagne de Hollande a permis à la commission de préconiser des réformes attendues ou en suspens. Ainsi une large application du rapport Sauvé sur la prévention des conflits d’intérêts , comme s’y était engagé le candidat socialiste, est recommandée. Réel point fort du rapport, on y retrouve l’instauration d’une haute-autorité de déontologie, et d’un réseau de déontologues déconcentré, chargée de contrôler à divers échelons institutionnels et administratifs des déclarations d’intérêts, d’activités et de patrimoines. Cette haute autorité serait composée de 9 membres, dont le vice-président du conseil d’État, les premiers présidents de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, et six personnalités qualifiées, nommées par les présidents de la République, de l’Assemblée et du Sénat.
La commission s'attaque aussi au « pantouflage » des ministres (le fait de rallier une entreprise privée quand on quitte ses fonctions) : aujourd'hui, alors que les départs des conseillers et des hauts fonctionnaires sont encadrés par la loi et soumis à l'avis d'une commission spéciale, les ministres échappent bizarrement à tout contrôle. « Cette lacune de la loi pénale a de quoi surprendre, s'insurge le rapport. La commission juge que ce qui vaut pour les fonctionnaires doit a fortiori valoir pour les ministres. » Au passage, Jospin recommande d'interdire aux membres du gouvernement d'occuper des fonctions de direction d'une société commerciale, ainsi que des responsabilités dans une association ou un parti (trésorier, etc.).
Quant à la suppression de la Cour de justice de la République (CJR), un engagement de campagne pris par François Hollande devant le club Droits, justice et sécurité, après avoir été discutée et mise en doute (lire ici), elle est finalement recommandée.
Une élection présidentielle plus citoyenne ?
Au bout du compte, c’est sur un thème peu ou pas abordé par François Hollande que les membres de la commission ont pu le plus donner libre cours à leur imagination. Sur l’organisation de l’élection présidentielle, le rapport recommande ainsi un « parrainage citoyen » des candidats à l'élection présidentielle: le candidat devrait réunir 150 000 signatures provenant de 50 départements différents. Le nombre de parrainages a fait débat, certains plaidant pour que le seuil soit fixé à un million.
Autre innovation intéressante dans le rapport, une réforme du remboursement des campagnes proposant de substituer au seuil de 5% « une série de tranches de faible amplitude afin de lisser le montant du remboursement public » et « réduire les inégalités entre candidats ». Le rapport plaide également pour une fermeture de tous les bureaux de vote à 20 heures (quand nombre d'entre eux ferment aujourd'hui à 18 heures), et pour que les législatives aient lieu entre deux et trois semaines seulement après le second tour, ceci afin d’éviter les vacances et ponts de mai, tout en raccourcissant le temps électoral pour davantage en conserver l’intérêt. Autre proposition, le retour à un scrutin présidentiel en février, au lieu de mai. Comme c'était le cas avant le président Georges Pompidou, dont la mort en avril 1974 avait provoqué le décalage du calendrier. La Ve République est respectée dans ses moindres détails… La VIe République sera pour plus tard.
Stéphane Alliès
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