Valls dégage (ou le chemin de la paix). Sans doute
Manuel Valls mesure-t-il très bien le cataclysme que provoque au pays basque
l’arrestation d’Aurore Martin.
Lundi 29 octobre il
déclarait au journal El Pais : « il n'y aura pas de Pays
Basque Français dans la prochaine loi sur la décentralisation».
Au pays basque français,
qui existe, n’en déplaise à Manuel Valls, et qui travaille, depuis la
conférence d’Aiete, le 17 octobre 2011, à une paix juste et durable, on a
compris.
Manuel Valls dit : il
n’y a pas de pays basque français - et il n’y en aura pas. Il
dit aussi : peu importe que le parti batasuna où milite Aurore
Martin soit un parti légal en France. Peu importe qu’une jeune femme française
fasse 12 ans de prison en Espagne sans être, en France condamnable, peu importe
le processus de paix organisé par Kofi Annan, Bertie Ahern, Jonathan Powell et
Pierre Joxe, processus qu’ont rejoint de nombreux élus du pays basque français
et des représentants de la société civile, peu importe l’espoir, l’immense espoir
des familles qui ont connu des années de conflit. Peu importe tout, pourvu
qu’il n’y ait pas « de structure administrative basque ». Il n’y aura
pas de « structure administrative basque » et si pour l’empêcher, il
faut vous occuper ailleurs, vous, si nombreux, qui œuvrez conjointement à la
paix et à la création d’un département, s’il faut extrader une jeune femme dans
un pays où elle risque 12 ans de prison, on le fait.
Il ne dit pas que ça,
Manuel Valls. Il dit aussi : adieu le socialisme. Ce à quoi Guéant et
Sarkozy ont renoncé, en juin 2011, il le fait. C’est vrai qu’Aurore Martin est
un symbole fort en pays basque, un symbole fort sur ce chemin de paix, bake
bidea, il fallait voir ça, en juin 2011, voisins amis passants, une foule
accrochée aux forces de l’ordre venues l’arrêter. Ils ont lâché. Valls n’a pas
lâché. C’est vrai qu’il aime les symboles forts, Manuel Valls, la
fermeté, les mots qui blessent. Quel reniement.
Mais il ne dit pas que ça,
Manuel Valls. Il dit plus grave. Il dit : « les choses sont claires
dans notre esprit et tant qu'ETA n'aura pas restitué ses armes nous demeurerons
inflexibles.» Une organisation armée aurait dans les mains l’avenir
institutionnel d’un territoire de la République ? Comment entendre une
telle aberration ? Par ailleurs comment être de mémoire si courte ?
Au mois d’octobre 2011, à la suite de la conférence de paix d’Aiete,
l’organisation armée ETA n’a-t-elle pas annoncé l’arrêt définitif et
irréversible de sa lutte armée ? Ne serait-ce pas là un couac, comme
on dit ? Mais rien de drôle. Ce que pourrait provoquer, sur le chemin de
la paix, l’irresponsabilité de Manuel Valls fait frémir.
Il reste de nombreuses
questions. Il reste les tristesses. Parmi les questions, celle-ci : qu’est
ce qui rend un ministre si acharné à envisager la création d’un département
basque, alors qu’on peut considérer qu’il sait en marche le processus de paix
décidé à Aiete, alors qu’on peut considérer qu’il ne confond que pour
communiquer (et blesser) terrorisme et territoire administratif ?
Peut-être que ce qui se
passe en pays basque depuis un bon moment, qui n’a rien à voir avec la lutte
armée mais tout avec une lutte non violente et anti capitaliste, est en train
de prendre, dans ce territoire que Valls nie, une allure exemplaire ? Sans
structure administrative, une chambre d’agriculture, laboranza gambara, bel
et bien une du pays basque, proche des paysans et favorisant une agriculture
équitable et respectueuse, a été créée de fait, puis de droit, à force de
revendications non violentes. Bientôt, nous aurons, comme Toulouse a le sol,
comme Villeneuve sur Lot a l’abeille, une monnaie, l’eusko, qui favorisera la
production et la consommation locales. Ces réponses locales à notre grande
crise mondiale (économique, sociale, écologique), prennent ici, sans structure
administrative, une belle ampleur, ici où le réseau associatif est fort et
enthousiaste. Oui, n’en déplaise à Valls, il y a un pays basque en pays
français, et il est au boulot.
Il y a les tristesses. Je
ne suis pas légitime pour nommer celles des familles qui ont derrière elles des
décennies de trajets de Bayonne aux prisons de France et d’Espagne et qui pour
la première fois, malgré les rancœurs et les colères, espèrent, oui, un futur
apaisé. La négation du pays basque par Manuel Valls est en tel décalage avec ce
qui se vit au jour le jour ici.
Il y a ma tristesse. Je
voudrais tellement parler des femmes et des hommes qui construisent ici de
belles affaires littéraires, musicales, chorégraphiques. D’Itxaro Borda.
D’Aurelia Pantxika. D’Ur Apalategi. De Kristof Hiriart. De Pantxika Telleria –
tous ceux, artistes, chez qui il vit et par qui il vit, le pays, tout frotté de
l’intérieur, travaillé dans sa langue - afin que celle-ci devienne, toute
maternelle qu’elle soit, une sorte de langue étrangère à elle-même, comme on
dit … Je ne jurerais pas que Manuel Valls soit seul à nier le pays basque
comme il va. Itxaro Borda est traduite en plusieurs langues, en anglais
notamment. Un personnage de ses récits est abondamment étudié aux Etats Unis,
dans le cadre des Gender Studies. Qui a entendu parler ? Littérature
régionale, j’entends ? Et j’ai entendu pire.
Et puis il y a Manuel
Valls. Après qu’il jette enfants et parents roms sur les routes, après qu’il
laisse courir l’islamophobie, initié en cela par 10 ans de sarkozysme, après
qu’il envoie sa police violemment réprimer les manifestations contre l’aéroport
de Notre Dame des Landes, le voilà qui jette de l’huile sur le feu au pays
basque, qu’il joue les durs, parce que les durs, il paraît que les Français
aiment ça. Une sorte de visage d’enfant colère et une attitude de parent
punisseur. On en est là, alors ? C’est grave. L’Italie n’a pas voté pour
son chef de gouvernement. La Grèce a voté 2 fois, ses choix ne plaisaient pas à
l’Europe. Le Portugal et l’Espagne : pour une droite au pouvoir, c’est une
droite dure. La Hongrie, on sait. La Finlande, pas brillant. Et nous, on a voté
à 18% pour Marine Le Pen au premier tour des élections. Alors on aime les
sales gosses versus pères fouettards ? On est à ce point déboussolé
qu’on a rien dit quand Manuel Valls a parlé de « lois d’exceptions »
pour les étrangers ? Qu’on dira rien quand une militante indépendantiste
basque est extradée pour des engagements qui en France relèvent (encore ?)
de droits fondamentaux quand en Espagne en effet ils relèvent de
l’application d’une loi d’exception ? On est bien déboussolé.
Pour ceux qui ont tant
attendu, tant souffert et qui aujourd’hui espèrent, le mal que ça fait, que ça
veut faire, l’arrestation d’Aurore Martin, il est tangible. Mais ici, pas si
déboussolés qu’ailleurs, le cataclysme on le traverse, et on se remet au
boulot. Tout de suite.
Marie Cosnay ( photo du Bas)
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