La Métro pète un câble : un téléphérique entre
Grenoble et le Vercors
Voici un article paru dans Le Postillon n°16
(juin 2012) :
On ne peut pas
être contre. Le projet de téléphérique entre l’agglomération grenobloise et le
Vercors est un projet incritiquable car il est « écologique »,
« innovant », « mobilité durable » et tout le tintouin. Tout
le monde - ou presque - le défend, de l’UMP à Europe-Ecologie-Les Verts, en
passant évidemment par Le Daubé. Faut-il donc être maladivement
« anti-tout » pour le critiquer ? Réponses dans ce papier où
l’avis des habitants du plateau côtoie des réflexions sur la nouvelle religion de la mobilité.
Si tu habites dans la
cuvette, tu le sais déjà : Grenoble est une ville-laboratoire, toujours « à
la pointe ». Ici on aime innover, faire les choses un peu avant les
autres, et s’en flatter : c’est bon pour l’ego, ça fait parler de la
région dans la presse et ça donne des sujets de conversation aux repas de
famille. Mais pour le plus grand malheur des élus, il y a un secteur où l’agglomération
n’est pas du tout innovante : les transports. Bouchons, pollution,
saturation : ça fait tache sur la belle carte postale de la cuvette et ça
donne l’occasion aux patrons de la Chambre de commerce et d’industrie de faire
des pétitions et de se plaindre d’une « région enclavée ».
Jusqu’à ce que les socialistes-managers de l’agglomération trouvent une
parade : faire un téléphérique, ou plutôt un « tramway aérien »
entre Grenoble et le Vercors. Tu nous diras : ça ne règlera rien aux
problèmes des bouchons. Car cet axe où, selon eux, 4500 véhicules font tous les
jours l’aller-retour entre l’agglomération et le plateau, n’est pas saturé
comme la rocade ou l’axe Voreppe-Grenoble, où des dizaines de milliers de
véhicules s’embouteillent matin et soir. Et effectivement, tu as raison mais là
n’est point l’important : ce nouveau transport, « une première en
France », « innovant », sera avec 10 kilomètres de
trajet « un des plus longs téléphériques du monde ».
Donc : ça fera parler positivement des transports à Grenoble et sur les
cartes postale le visuel habituel des vieilles bulles de la Bastille, premier
téléphérique urbain construit en 1934 et rénové en 1976, sera enfin remplacé
par celui des cabines modernes du Vercors.
Avec ce genre de projets
géniaux, le problème pour les élus, c’est de pouvoir les mener rapidement et de
ne pas s’embêter avec des débats, des opposants, des recours, et autres
vicissitudes de la démocratie. Cette fois, ils ont essayé de prendre tout le
monde par surprise et ont dégainé le projet plus vite que leur ombre en
conférence de presse le 19 mars dernier. Et d’un coup d’un seul, alors que le
projet avait été à peine évoqué publiquement jusque-là, ils ont affirmé qu’un
téléphérique reliera Fontaine à Lans-en-Vercors en s’arrêtant à
Saint-Nizier-du-Moucherotte fin 2014, soit deux ans et demi plus tard. Une
telle précipitation t’étonne ? Ne t’inquiète pas, tu n’es pas le seul. Les
habitants du Vercors ont même été les premiers surpris, la plupart des
conseillers municipaux des sept communes du Vercors n’ayant même pas été mis au
courant avant. Ceci n’a pas empêché Le Daubé de parler sur le coup d’une « satisfaction
unanime des élus » (20/03/2012). Quelques jours plus tard, on a pu
appréhender la fragilité de cette satisfaction, enrobée dans la langue de bois
des élus. Pierre Buisson, président de la communauté de communes du Vercors a
tenu à préciser que « nous ne ferons pas ce projet seuls, nous y
associerons toute la population » avant d’avouer que « tout le monde
en sait autant que nous, élus du plateau » (Le Daubé,
10/04/2012). Ce qui veut dire qu’eux – les élus du plateau – ne sont au courant
de rien du tout. Quelques jours plus tard, « Franck Girard, maire de
Saint-Nizier, a tout de suite dit qu’il n’avait ‘‘guère plus d’informations que
le public’’ » (Le Daubé, 13/04/2012).
Éviter que cela
soit un élément de débat
Mais alors, te
demandes-tu, si ce ne sont pas les élus des communes concernées par le
téléphérique, qui donc guide ce projet ? Si je te dis « agrandir
l’agglomération grenobloise », « construire une grande métropole
compétitive », « devenir une communauté urbaine », tu
me dis.... ? Bingo : Marc Baietto, le président de La Métro, la
communauté de communes de l’agglomération grenobloise. C’est lui, accompagné de
« l’élu du plateau » Pierre Buisson, qui a mené la conférence
de presse. A priori, seuls quelques adjoints de La Métro et maires du plateau
étaient au courant de cette annonce. En tous cas le téléphérique n’a jamais été
voté par une de ces instances supposées représenter les citoyens. Certaines
mauvaises langues dénoncent cet abus de pouvoir de La Métro, qui n’a pas la
compétence « transports » et qui n’a pas à intervenir en
dehors de son périmètre. Cette ingérence peut d’ailleurs être interprétée comme
une revanche de la part de Baietto : l’année dernière, les communes du
Vercors n’avaient pas voulu rejoindre La Métro, pour l’aider à franchir le
fameux cap des 450 000 habitants, nécessaire pour être une « communauté
urbaine », ce qui pète un peu plus que « communauté de
communes ». À l’époque, les élus du Vercors avaient promptement
remballé le président de La Métro : « Le Vercors dit ‘‘non à la
mammouthisation’’ » (Le Daubé, 16/04/2011). Une fois ces
divergences résolues, la promotion du téléphérique serait donc pour le
président de La Métro une manière de revenir sur le Vercors, « terre de
Résistance », par la fenêtre des transports après s’être fait jeter
par la porte de l’organisation territoriale. En tout cas, le président de La
Métro veut faire vite et précise à cette occasion sa vision de la démocratie.
Dans Le Daubé (11/05/2012) il affirme que « la réalisation
proprement dite devrait débuter au deuxième semestre 2013. Il faut surtout
éviter que ce soit un élément de débat au moment des municipales de 2014 ».
C’est vrai que c’est quand même pénible quand il y a des éléments de débat
importants au moment des élections. Un peu plus, et les citoyens pourraient
donner leur avis.
Concrètement, te
demandes-tu, comment fonctionnera ce téléphérique ? Regardons un peu ce qu’on
sait déjà car quoi qu’en disent les élus, les grandes lignes du projet sont
déjà bien définies. Le « tram aérien » fonctionnera aux mêmes
horaires que le tram normal et débitera une cabine toutes les trente secondes.
Ce qui fait, pour une durée annoncée du trajet de vingt-neuf minutes, cent
seize cabines se baladant de cinq heures du matin à une heure du matin entre
Fontaine et Lans-en-Vercors. La réalisation et l’exploitation de l’innovation
seront confiées à un opérateur privé, car, selon le président de la communauté
de communes qui a investi plus de quatre-vingt-dix millions dans un stade de
football, « On sait que les finances des collectivités, et notamment de
La Métro, ne permettent pas d’y aller tout seul. Si on part sur une réalisation
financière par le public, on en parlera encore pendant des années. Or là, il
faut passer à l’acte » (Le Daubé, 20/03/2012). Le privé est
effectivement une bonne solution pour « éviter que ce soit un élément
de débat » et pour que les collectivités locales se débarrassent de ce
fardeau que représente le service public des transports. Il n’y a que le prix
de la construction qui a l’air encore très variable selon les sources : de
40 à 50 millions d’euros pour Marc Baietto, 180 millions d’euros pour Pierre
Jaussaud, expert en câble dans Le Daubé (05/03/2012). C’est vrai qu’on
est pas à quelques dizaines de millions d’euros près. On attend avec impatience
de savoir quelles publicités l’exploitant choisira de mettre sur les cabines
pour combler le déficit de son exploitation (1).
Des habitants
plutôt pour mais en manque d’informations
Et les Vertacomicoriens
(habitants du Vercors), qu’en pensent-ils ? Lors d’une petit virée sur les
« quatre montagnes » (nom de cette partie-là du plateau) j’ai
causé avec une trentaine de personnes, majoritairement « pour »,
quoique souvent en attente de précisions. Rachelle, une jeune autostoppeuse,
trouve le projet sympathique mais s’interroge sur le futur prix, annoncé pour
l’instant entre 3 et 5 euros le trajet : « Quand on est jeune, il n’y
a pas de boulot ici, à part les postes de saisonniers, alors il faut descendre
à Grenoble. Mais c’est la grosse galère pour se déplacer et en bus on paye onze
euros pour faire l’aller-retour à Grenoble. Si avec le téléphérique, c’est le
même prix ou plus élevé, on continuera à faire du stop. » Selon elle, « les
gens autour de moi sont assez partagés. Moi je trouve que c’est bien pour le
futur du plateau, pour le tourisme. Ceux qui sont contre c’est souvent parce
qu’ils ne veulent pas voir de pylônes dans leur jardin ou à côté de chez
eux. » Deux marcheuses ne sont pas contre mais regrettent « n’être
au courant de rien. On nous a rien dit, même mon frère conseiller municipal à
Lans ne savait pas. On ne sait pas où vont être les pylônes, ni rien. Faudrait quand
même qu’ils nous informent. » Laurence a une ferme et partage cet
avis : « Potentiellement, la ligne va passer juste à côté de chez
moi mais je ne sais pas encore exactement. Normalement elle passera assez loin
pour que les gens dans les cabines ne nous voient pas sur notre terrasse, mais
on ne sait pas exactement. On attend. » On voit ici que l’adhésion des
habitants, proclamée par certains élus ou par un sondage par internet (2) est
pour l’instant toute relative et dépendra beaucoup de l’évolution du projet.
Les commerçants sont pour, forcément. La buraliste de Saint-Nizier, une
salariée du musée des automates et le boulanger bio de Villard-de-Lans
applaudissent des deux mains. Le buraliste de Lans-en-Vercors est quant à lui
davantage partagé : « En tant que commerçant, je suis pour mais en
tant qu’habitant je suis plutôt contre. Je comprends tout à fait ceux qui n’ont
pas envie que les cabines passent à côté de chez eux. C’est très dur de se
faire une idée définitive. » Étonnamment, la personne la plus
sceptique rencontrée travaille à l’office du tourisme de Villard-de-Lans :
« Pour moi, c’est n’importe quoi. Je pense que ça ne va pas se faire.
Comment ça pourrait marcher ? Comment feront les gens qui arriveront à
Lans-en-Vercors pour aller à la station de Lans [NDR : la station est
située à six kilomètres du village], ou à celle de Villard ou ailleurs ?
Il prendront des navettes ? Il en faudra vraiment beaucoup... Et puis
franchement les pylônes, c’est hideux. » La laideur de
l’infrastructure fait aussi peur a un habitant, employé municipal, rencontré en
train de tondre sa pelouse qui trouve « qu’il y a déjà trop de monde
dans le Vercors. Avec ça, il y en aura vraiment trop et donc je vais
partir ».
Si cela peut te rassurer,
sache que ceux qui sont contre le projet ne sont pas tous aussi désabusés.
Certains sont même plutôt actifs : un « collectif de citoyens du
plateau du Vercors même pas élus mais concernés par l’intérêt public »
a diffusé un journal de quatre pages, baptisé Le Téléféérique très critique
envers le projet. Comme d’habitude, l’anonymat de ce texte a beaucoup fait
jaser le journaliste du Daubé et certains habitants pour qui la
signature est plus importante que le propos. Voici quelques morceaux
choisis : « Nous serions le premier parc naturel à réintroduire
une espèce en voie de disparition chez les autres : le pylône. Bel effort
de la CCMV [NDR : Communauté de communes du massif du Vercors] pour
dynamiser le tourisme. Encore plus de mécanisation, voici qui ira à ravir sur
les plaquettes promouvant notre bel espace naturel. (…) Dans un bel élan de
solidarité La Métro évoque les écoles, les familles à revenu modeste, les
touristes d’un jour, qui, pour la modique somme de 8€ par personne, pourront
venir prendre l’air autour des gares d’arrivée et intermédiaire. Et
après ? Qu’ils marchent donc. Pour ce prix-là ce public vient déjà sur le
Vercors à un tarif ultra compétitif en montant à deux, trois ou quatre dans une
voiture avec luges et skis si la saison s’y prête. (…) Des cars il n’y en aura plus.
Trop ringard, trop polluant, trop ‘‘service public’’ probablement. On cite
Pierre Buisson : ‘‘Une partie de ces liaisons [par car]n’aura plus
d’utilité quand le transport par câble fonctionnera’’. Tous ceux que le bus
ramassent aux arrêts intermédiaires seront eux aussi obligés de prendre une
voiture ! S’ils en ont une, on pense aux jeunes. Ceux qui actuellement ont
fait le choix du car, devront passer au téléphérique, soit du service public au
service privé avec aucune garantie sur l’évolution des prix ». Sur les
forums internet (3), les arguments « contre » vont de coups de gueule
d’internautes pour qui « la bagnole, c’est la liberté », à la
dénonciation des problèmes techniques comme le fort vent soufflant
régulièrement sur le plateau, en passant par l’inquiétude face à la future
densification urbaine et spéculation immobilière que ce nouveau mode de
transport ne manquera pas d’entraîner.
La
montagne-dortoir rêvée des ingénieurs
Cette question de la
densification et de la surenchère immobilière n’inquiète jamais ni les
promoteurs immobiliers, ni les élus. Pierre Buisson, le président de la
communauté de communes du Vercors se veut rassurant : « Nous
n’allons pas interdire l’urbanisation mais densifier les endroits où c’est déjà
construit. Il y a aujourd’hui 11 800 habitants permanents sur le plateau, nous
tablons sur 15 000 habitants d’ici 10 ans, mais c’est un chiffre à ne pas
dépasser. Là notre souci est d’accueillir mieux le visiteur d’un jour, pas
d’accueillir plus de résidences principales » (Le Daubé,
20/03/2012). Belles paroles qui ne résisteront certainement pas à la nécessaire
rentabilisation de la future ligne de téléphérique. Car puisque le
« visiteur du jour » ne remplira pas les cent-seize cabines tournant
continuellement entre le plateau et l’agglomération, l’opérateur privé devra
faire pression sur les élus pour la construction de « résidences
principales » de personnes travaillant à Grenoble et utilisant
quotidiennement le téléphérique. Pour la construction d’un tram, un
« contrat d’axe » est signé avec les communes traversées les
obligeant à construire des milliers de logements afin de rentabiliser ce « transport
écologique » (voir Le Postillon n°15). Un dispositif similaire
sera-t-il mis en œuvre pour les téléphériques ?
Actuellement, 40% de la
population active du Vercors et 60% de celle de Lans travaillent dans
l’agglomération grenobloise. Ce chiffre explosera avec le téléphérique et
entraînera une surenchère immobilière. « C’est une certitude »
dit même François Nougier, militant écologiste du plateau pourtant favorable au
projet (Le Daubé, 03/04/2012). Qui viendra acheter des terrains dont le prix
aura explosé - alors qu’ils sont déjà à peu près aussi chers que ceux de
l’agglomération - si ce ne sont des cadres à hauts revenus travaillant dans les
grandes entreprises technologiques de la presqu’île scientifique ?
Ça tombe bien, les élus
ont déjà prévu d’agrandir la ligne au moins jusqu’à la presqu’île, soutenus sur
ce point par l’ADTC (Association pour le développement des transports en
commun) qui juge que « pour les habitants du plateau travaillant dans
l’agglomération, et en particulier sur la presqu’île, l’attractivité
nécessiterait un prolongement de cette liaison jusqu’au Polygone (futur
terminus tram B) pour éviter une rupture de charge supplémentaire et un temps
de parcours encore plus élevé par rapport à un trajet en voiture ».
Chasser les personnes modestes et devenir la montagne-dortoir rêvée des
ingénieurs ayant la bonne conscience de ne pas prendre leur voiture pour se
rendre à leur boulot : voilà le destin du Vercors augmenté par
« l’attractivité » du téléphérique.
Ce projet de remontée
mécanique n’est pas le premier à voir le jour dans la région. Cela fait par
exemple des années qu’un projet de téléphérique Grenoble-Chamrousse est
régulièrement évoqué par les élus, comme à l’occasion de la candidature de
Grenoble aux Jeux Olympiques de 2018. Devant le manque d’adhésion populaire et
la mobilisation de certains habitants situés sur le trajet, il est pour
l’instant mis au placard (4). Une liaison entre Crolles et Brignoud fut
également envisagée pendant dix ans avant d’être abandonnée l’année dernière,
là aussi à cause du manque de soutien au projet des habitants. On a également
parlé de liaisons Meylan- Saint-Martin-d’Hères ou Échirolles-Vizille. Cette
liaison sur le Vercors, dont le trajet est moins polémique car survolant
essentiellement des zones boisées, est donc pour les élus une manière de
concrétiser enfin un projet, en espérant qu’il fasse boule de neige. Ils
parlent déjà de la suite avec gourmandise : « “Nous voulons voir
vers Villard-de-Lans et Corrençon” [NDR : c’est-à-dire prolonger le
téléphérique jusqu’à ces communes], imagine Pierre Buisson, le président de la
Communauté de communes du Vercors. Côté agglo, on prévoit (aussi) de tirer le
câble jusqu’à Saint-Martin-le-Vinoux. Michel Destot, maire de Grenoble :
“Vous dites pourquoi pas la Chartreuse, j’ajoute : et pourquoi pas
Belledonne ?” » (Grenews, 19/03/2012). « Après, une
troisième extension pourrait gravir la Chartreuse et se diriger vers le Sappey,
voire le col de Porte » (Le Métroscope, avril/mai 2012). Belledonne,
la Chartreuse, le Vercors : voilà la future proche banlieue de Grenoble.
Un téléphérique
solidaire ?
Tu as sûrement déjà
remarqué que les politiques essayent toujours d’enrober leurs projets de mots
et d’expressions un peu poétiques. Pour Marc Baietto, le téléphérique est un
moyen « d’ouvrir la montagne à ceux d’en-bas et la ville à ceux
d’en-haut » (Grenews, 10/05/2012). « Ouvrir la montagne »,
c’est le cas de le dire, surtout avec le déboisement nécessaire et la
construction de nombreuses routes forestières sous la ligne pour les secours.
Claude Comet, la conseillère régionale écologiste en charge de la montagne et
du tourisme, s’emballe : « C’est un acte historique et
d’anticipation par rapport aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. C’est
un projet de territoire et de solidarité entre le haut et le bas pour ne pas
réserver l’accessibilité à une élite. Il y a une vraie urgence post-carbone »
(Le Daubé, 06/04/2012). Les membres d’Europe-Ecologie sont à fond pour
le projet et n’ont peur de rien pour le défendre, quitte à parler d’une « solidarité
entre le haut et le bas » dont on a du mal à voir le rapport avec une
liaison câblée, à moins de parler des nuisances partagées. François Nougier,
candidat suppléant aux prochaines législatives, va jusqu’à mépriser les
remarques bassement terre à terre des habitants mécontents : « Avant
de penser petit, il faut se poser de réelles questions : comment amène-t-on
le touriste à respirer l’air frais de nos montagnes ? » (Le
Daubé, 06/04/2012) Voilà effectivement la « réelle question » qui
travaille davantage les élus que l’avis des habitants : comment attirer « le
touriste », produit que les territoires se disputent et qu’il faut
faire venir à tout prix dans sa région pour « respirer l’air frais de
nos montagnes » et vider leur porte-monnaie. Et même dans un des plus
vieux parc naturel régional, ça se passe comme ça.
Essayons donc de ne pas
« penser petit ». Notre société est travaillée par le culte de la
mobilité, valeur centrale guidant l’aménagement du territoire et l’organisation
de nos vies. Selon Jean Viard, sociologue médiatique et auteur d’Éloge de la
mobilité (éditions de l’Aube, 2008) : « alors que nous
parcourions en moyenne 5 kilomètres par jour en 1950, nous parcourons
aujourd’hui 45 kilomètres par jour en moyenne, soit 9 fois plus ».
Cette mobilité, outre qu’elle fait perdre énormément de temps dans les
transports, entraîne de nombreux gaspillages énergétiques contribuant aux
records de consommation marquant l’évolution de nos sociétés. Pics de
consommation que les fameuses « énergies alternatives » ne pourront
pas soutenir, à moins de se transformer en industries dévastatrices (3). Cette
question est soigneusement évitée par les promoteurs des « nouvelles
mobilités », vantant sans cesse la formidable « liberté » due à
l’accroissement de la mobilité, « liberté » tellement appréciée par
ceux passant quatre heures par jour dans les bouchons parisiens. Pour les
planificateurs, qui ne veulent pas penser à réduire les déplacements, la mode
est à la promotion des modes doux et de la fameuse « mobilité
durable », défendue notamment par Pierre Jaussaud, expert judiciaire
grenoblois ès transport par câble. Comme les choses sont bien faites, le
monsieur est par ailleurs directeur d’une société, EF Câbles, œuvrant dans le
même domaine. Ne reculant devant rien, il est même allé en 2009 jusqu’au
Parlement européen de Strasbourg intervenir au Forum « Green Connected Cities »,
promouvoir le transport par câble, seule façon pour lui d’œuvrer à une
« mobilité durable ». C’est lui même qui quinze jours avant la
conférence de presse lançant le projet Grenoble-Vercors avait lancé un vibrant
appel dans Le Daubé (05/03/2012) en affirmant que « la liaison
Grenoble/Vercors paraît vitale », rien que ça. À moins qu’elle ne soit
vitale pour son entreprise comme pour tous ceux voulant tirer profit du
business à venir du transport par câble, alter-ego des entrepreneurs-opportunistes
subitement convertis au solaire. Le téléphérique, s’il ne brûle pas de pétrole,
consomme en revanche beaucoup d’électricité. Cela n’a pas l’air de chagriner
les nombreux écologistes soutenant le développement de ce « transport
écologique ». Jamais n’est remis en cause ce non-sens qui veut que des
personnes (aisées et « ayant le choix » pour la plupart dans ce
cas-là) choisissent d’habiter à trente kilomètres de leur lieu de travail et de
faire quotidiennement le trajet. Ni l’absurdité voulant que la montagne,
devenue un bien de consommation comme les autres, doive être rendue plus
« accessible » à tous en permettant au touriste venu de loin de faire
son petit aller-retour en téléphérique dans l’après midi comme à l’ingénieur
d’aller faire une petite rando à skis en « tram aérien » avant
d’aller bosser. Le tout, la conscience tranquille, en utilisant un transport en
commun. En dehors de rares baladeurs du dimanche et de quelques perdus, le
chemin pédestre allant de Fontaine à Saint-Nizier est généralement désert.
Comme s’il était devenu inconcevable de se rendre en montagne à pied, comme si
pour aller marcher en montagne, les transports motorisés étaient devenus
indispensables.
Qu’il est loin le temps où
la montagne imposait sa loi aux humains voulant en profiter, en leur réclamant
adaptation, temps, effort, humilité. Aujourd’hui, la montagne s’aseptise et les
trois massifs ceinturant Grenoble sont de plus en plus considérés comme une
banale zone résidentielle et un parc d’attractions.
Le Postillon
1 - La régie du
téléphérique de la Bastille de Grenoble a déjà transformé plusieurs fois les
fameuses bulles en supports publicitaires pour Ikéa, la Banque Populaire des
Alpes ou Poma, ce qui a occasionné à chaque fois des polémiques.
2 - Sondage réalisé sur le
site www.initiatives-vercors.fr
3 - Un grand débat a eu
lieu sur http://forum.vercors.org
4 - Les opposants au
téléphérique Grenoble-Chamrousse ont un site :http://les-pieds-sur-terre.blogspot.fr
5 - Lire à ce sujet le
dernier livre de Frédéric Gaillard, Le soleil en face, rapport sur les
calamités de l’industrie solaire et des prétendues énergies alternatives,
éditions l’Echappée, 2012.
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